« SNOWPIERCER »: quand la SF sait se tenir.

Snowpiercer 3

     Snowpiercer – le Transperceneige… Un nom bien alambiqué pour un énième film de science fiction. Vous savez, ce genre littérairement dénigré pour mieux être porté aux nues au grand écran à grand renfort d’images fabuleuses de technique. Tellement porté aux nues que ce n’est pas moins de quatre films « esséfiens » qui étaient à l’affiche cette semaine. « Esséfiens » au sens très large, voire même citoyen du monde, puisque j’y englobe Gravity, Thor, la Stratégie Ender et le Transperceneige.

(Mes chers Tolkiennistes ne vous offusquez donc pas de cet amalgame insensé digne d’un critique de cinéma, votre heure viendra en décembre).

D’ailleurs c’est même l’un de ces films qui attire toute l’attention ces temps-ci, suivez mon regard en relief.. D’ailleurs, ces films de s-f ne sont plus conçus en tant qu’histoires science–fictionnelles mais servent au contraire de support à une image impressionnante. Ne serait-ce que pour Avatar. Les Asimoviens et Kadickois s’étouffent dans leur muesli en lisant tant de références de si bas étage!
La s-f filmique aurait-elle supplanté les films d’action dans le rôle du blockbuster ? Moins de dynamite, plus d’explosions nucléaires. Il est désormais devenu honteux d’aimer les films d’action, bien moins de kiffer le dernier Star Trek. Vous vous référerez à nombres d’autres chroniques pour déplorer le manque de plus en plus criant de scénario au dépens d’une technique toujours plus à la pointe (notez la vacuité de cette dernière proposition), ce ne sont pas mes oignons.

     Les miens, d’oignons, c’est de déblatérer sur le Transperceneige puisque c’est ce que je suis allé voir hier soir. Alors que la radio expulse son bulletin d’information des nouvelles toutes plus inquiétantes mais pourtant devenues tellement banales – pillages de morts pour survivre aux Philippines, règlements de comptes pour les phocéens, révoltes et destructions dans un certain Ouest, un emprunt français de quelques milliards, Nadal et Federer en demi-finale… – je vous invite à vous glisser dans un futur assez proche, une anticipation, une simple supposition, imagination ; un monde post-apocalyptique. Quelle apocalypse ? Un temps où les rires et la paix sont révolus.. ont-ils jamais existé ? Un temps où l’humanité se réduit à des survivants sans d’autres objectifs que l’instant d’après. Terrible effort de la pensée n’est-ce pas ? Que d’insensé ! Laissons cela aux rêveurs…

     Alors s’il vous plait, laissez-vous rêver un instant. Et un rêve commence toujours par de belles intentions ; pourquoi ne pas régler le problème du réchauffement ? Des millions de tonnes d’un gaz nouveau sont déversées dans notre atmosphère aux alentours de 2014, réduisant la température drastiquement. Trop drastiquement même et la pauvre humanité maladroite en quelques instants se retrouve enfermée dans un immense train hermétiquement clos tournant autour du monde, du moins ce qu’il en reste. Et ce train brave les glaces depuis 17 ans maintenant. Tragique n’est ce pas ? Classique de ces anticipations, l’humanité a recréé une hiérarchie sociale dans ce train et c’est une révolte partie du fond du dernier wagon que nous suivrons à la découverte de ce dernier monde. Vous l’aurez deviné, plus on avance dans le train, plus la vie est belle et les resquilleurs n’ayant pu se payer la première classe sont relégués à l’arrière. Aucun moyen aux pauvres de partager les plaisirs de ces salops de l’avant. Ouh les vilains ! Merde quoi j’étais parti pour me mater une anticipation et voilà une fable sociale. On sait comment ça finit ! Sauf que là non. Le scénario tient bon et a l’intelligence de ne pas se faire prévisible. Il évolue au sein de codes bien établis mais ne tombe pas un instant dans l’erreur du cliché. Ainsi au contraire d’un Star Trek (le dernier qu’est sorti, on s’en fout du titre) de plus de deux heures où l’on avait l’ennui de deviner exactement les rebonds de l’action et autres retournements de situation parfois une demi heure à l’avance, ici le film laisse supposer plus ou moins fortement (grâce aux codes) mais tout reste possible. Le Transperceneige nous balade selon ses rails, son chemin, fi des exigences de satisfaire un maximum de public en offrant un minimum de surprise, de complexité pour un maximum de facilité. Le Transperceneige raconte une histoire lui !

Un instant, il y a Chan Chan qui passe…

     Vous souvenez vous de ces films « waaaah en fait c’est tellement compliquéééé j’ai la tête qui explosayyyy. Nan mais on sait pas si la toupie elle s’arrête quoiiiiii ! » ? Ceux en fin ouverte appelant à une réflexion qui taraudera le spectateur au moins toute la nuit. C’est la vieille technique d’épuration du scénario pour laisser place à l’interprétation. En général, cela se résume à un choix entre un « oui » et un « non ». Dans le cas de ce cher train, la fin du film est sans guère d’appel mais la richesse de son univers (oserai-je dire) entraine une myriade de réflexions autour de quantité de points de détails. Ainsi, hier soir alors que ma voiture me ramenait à mon lit, glissant les gouttes, mon regard se perdant dans le noir de la nuit et les halos des lampadaires de la zone industrielle, ce n’est pas aux bleus yeux de la maitresse du wagon-école ni à la caresse aimante que cette blondinette passait sur son ventre rebondi que je pensais. J’inventais plutôt une explication à la révolte des sept, épisode historique éminemment tragique du passé… Pourquoi donc ne distingue-t-on que seulement six silhouettes ? Quel homme serre sa femme contre lui aussi tendrement que le froid mordant de l’extérieur le lui permet ? Geste d’amour vain, désespéré et pour cela magnifique. Et la mère de la petite coréenne, faisait-elle donc partie des sept ? Que faisaient-ils dans ce placard ? Qui est le plus fou dans cet être de fer ; le wagon avant ou l’arrière ?

     Car voici un point intéressant et qui pourtant ne s’impose pas lourdement à nos yeux ébahis : la folie. Dans cette machine bien huilée et rigide qu’est la société du train, un véritable culte officiel s’est établi : chacun occupe la place qui lui revient. « La machine est vivante ! La machine est éternelle ! Son fondateur veille sur nous ». Le culte de la machine est omniprésent, résultat de dix-sept ans de propagande. Au départ, la révolte est censée être une ascension vers la lumière, la quête d’un salut. Mais l’impression lancinante que chacun est plus taré que son voisin se fait de plus en plus présente. C’est une descente aux enfers à mesure que le jour se fait plus présent, les affres de la décadence s’exposent de plus en plus et dans toute sa variété. Mais tout cela se tient et roule gaiement depuis 17 ans. Où s’arrête le mensonge, où débute la vérité ? Que découvre-t-on à la fin ? Rien n’est blanc, rien n’est noir. Tout est humanité, exacerbée dans tous ses aspects par une claustrophobie doublement décennale. En vient la dernière question, teintée de paranoïa, « Est encore l’humanité que cette humanité ? Et quelque soit la réponse, qu’en faire ? Car il faudra faire ! ».

     Tout ceci est admirablement soutenu par une symbolique qui dès la première apparition s’impose doucement comme terriblement forte de sens. Doucement car jamais ces symboles ne sont vraiment martelés. Tout au plus sont-ils présents, dans le texte, l’action, le décor, les événements.
Ne serait-ce que les premières images du film après les premières voix : des avions déversant des nuages dans le ciel bleu… l’habitacle gelé d’une voiture, dehors tout est recouvert d’une neige infinie, au rétroviseur un pendentif : save the planet… Ou the world, ce film est tellement riche de détails qu’il vaut le coup d’être acheté en DVD pour décortiquer le moindre instant. L’esthétique de l’image se fait très belle et surtout, elle évolue. Deux heures dans un train pourraient être ennuyeuses (faites donc Toulouse Bordeaux sans trop prêter attention au paysage).
Gogol Bordelo passe alors que j’écris et justement il représente bien ce patchwork d’ambiance se déroulant au fur et à mesure des wagons ; une réalité industrielle pour l’un, une sorte de léger steam punk pour l’autre. Les microcosmes se côtoient à l’image de la diversité ethnique des acteurs. C’est un peu de toute l’humanité qui est réunie dans cette arche.

     Enfin, fait marquant de cette richesse, cette histoire de train se tient ! Certes quelques éléments sont moins facilement explicables mais la grande tenue de tout le reste permet de supposer et d’imaginer des systèmes logiques pour ces-dits éléments.
Quid de la qualité de l’image ? M’en fous. Je ne suis qu’un scientifique frustre, rien de littéraire, rien dans les yeux. Alors la technique vous imaginez bien qu’elle me passe au dessus ! Une bonne histoire me suffit. Pas de fabuleuse technique 3D ni de prouesse du jeu d’acteur pour singer l’angoisse dans un scaphandre. Dommage…

     Pour conclure, c’est bien cette richesse que je vous rabâche, depuis un moment qui est LA raison pour aller se farcir ce film. Il resterait encore bien des choses à envisager dessus, ce qui laisse la place à nombre d’autres chroniques. Alors, allez-y bande de gueux ! Ce n’est pas un grand film, il peut y avoir quelques longueurs pour certains mais il est bien. Vraiment un travail bien léché de la part du sud-coréen.
Moi qui m’ennuyais de plus en plus dans les salles obscures au point de me prendre pour un snob pédant et rat de bibliothèque, voici que j’en suis venu à écrire une chronique dessus.

Et Elvis chante une chanson de plus qu’il a volé un paysan surement Texan et les Beatles s’époumonent à reprendre Twist and Shout.

Note : 627/9 HorsTaxe

Mube MB (Pharma Toulouse)

     Epilogue : pourquoi s’escrimer à appeler ce film le Transperceneige ? C’est parce qu’il est tiré d’une bande dessiné française ! Cocoricooo ! Une belle adaptation à rajouter au crédit de ce film. Pour ce qui est de la fidélité, je vous laisse découvrir l’œuvre originale.

Le Transperceneige transperce-t-il les coeurs >>

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